Revue de presse

 

Lu dans le quotidien ''Le Parisien'' du 22 janvier 2004

L'infirmière en chef malmenait son personnel

MALIKA faisait-elle régner la terreur dans son service ? Les juges du tribunal correctionnel de Compiègne ont eu à étudier le cas de cette ancienne infirmière en chef d'un bloc opératoire de la clinique Saint-Côme, prévenue de harcèlement moral sur une jeune infirmière qui était sous ses ordres. Il s'agit là d'une des premières affaires du genre renvoyée devant le tribunal, conformément à la loi dite de modernisation sociale applicable depuis janvier 2002. Malika, 44 ans, entrée à la clinique en 1980 comme infirmière, a gravi les échelons jusqu'à obtenir, il y a sept ans, le poste de responsable du bloc opératoire du troisième étage.

Une quarantaine de personnes travaillent sous ses ordres. Elle est la supérieure d'Hélène, jeune aide-soignante, embauchée en décembre 2001. « Elle a été très gentille jusqu'en mars 2002, brutalement elle m'a interdit de toucher les malades, de leur sourire, je l'énervais... En mai, elle m'a accusée d'avoir perdu le cahier de produits stupéfiants puis d'avoir volé des produits. Je tremble en sa présence, elle me fait peur », a expliqué Hélène, lors de son audition chez les policiers en novembre 2002. Elle raconte avoir subi des critiques et des humiliations quotidiennes lui occasionnant des arrêts de travail réguliers et un traitement d'antidépresseurs. La jeune femme finit par dire stop, les syndicats sont alertés...

Une série de démissions dans le service De son côté, la direction avait envoyé Malika suivre une courte formation en management en 2000 afin qu'elle fasse preuve d'un peu plus de psychologie avec le personnel. Mais avec le temps, rien ne s'arrange, à tel point que la direction ajoute un avenant à son contrat de travail pour qu'elle veille à maintenir un climat de cordialité au sein de son service. Rien n'y fait, Malika a été remerciée en avril dernier. Au fil de l'instruction à la barre, Malika, qui réfutait les accusations, a fini par changer d'attitude. L'ancienne infirmière en chef s'est montrée moins sûre d'elle, reconnaissant par moments qu'elle n'était pas quelqu'un de facile, mais ajoutant que son comportement était dicté par une volonté de faire tourner le bloc. C'est à demi-mots qu'elle a reconnu que sa situation personnelle, son divorce notamment, l'avait peut-être amenée à changer. Plusieurs membres du personnel de la clinique ont appuyé le témoignage d'Hélène : une déléguée syndicale, un brancardier et d'autres infirmières, témoins à diverses reprises de la sévérité de Malika et d'une série de démissions dans le service. Après ces lectures accablantes qui ont duré de longues minutes, le ministère public a pris la parole et, dans un réquisitoire plutôt clément, a demandé au tribunal une peine d'amende de 1 000 € avec sursis... Le délibéré sera rendu le 17 février. (Par L.A.)

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Lu dans l'hebdomadaire ''Politis'' du 22 janvier 2004

Harcèlement moral : un détournement exemplaire de la loi

Un délégué syndical est accusé de harcèlement moral par sa direction.

Les motifs du licenciement de Cédric Ostrowsky ne sont pas banals. Ce représentant syndical chez Virgin Megastore est accusé d’avoir harcelé moralement un cadre de direction. Le délit de harcèlement moral, apparu en 2002 dans la loi de modernisation sociale, devait ­ c’est du moins ainsi que le législateur l’a conçu ­ protéger les salariés d’employeurs indélicats. Qu’un employeur se prévale de cette disposition pour la retourner contre un salarié constitue une étonnante inversion juridique. (...)

Tout commence en juillet 2003. Cédric Ostrowsky, employé logistique à l’entrepôt parisien de l’enseigne culturelle et délégué CGT depuis quatre ans, fait l’objet d’une procédure de licenciement. Pour deux motifs : harcèlement moral sur la personne de Régis Guivarch, qui n’est pas son supérieur hiérarchique direct, mais le directeur du site, et des menaces, provocations et injures à l’encontre de la direction et des collègues. Consulté, le comité d’entreprise, qui compte trois élus cégétistes, deux de FO et cinq de la CGC, CFDT et CFTC, approuve le licenciement de Cédric Ostrowski, par cinq voix contre trois et deux abstentions. Mais l’inspection du travail s’y oppose. Dans sa conclusion, rendue le 25 septembre 2003, elle récuse l’accusation de harcèlement moral car « le lien avec le mandat [de délégué syndical] ne peut être écarté, le travail de M. Cédric Ostrowski n’étant nullement en cause, ni même la relation avec sa hiérarchie directe ». Enfin, si Cédric Ostrowski fait preuve de « véhémence » et de « rigidité » en tant que délégué du personnel, comportement qui « peut être considéré comme inadapté et volontairement provocateur et menaçant », ce motif est insuffisant pour justifier la rupture de son contrat de travail. L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais Virgin a décidé de faire appel auprès du... ministère du Travail. Bien que Nathalie Drouet, directrice des ressources humaines, assure que cette action n’est en rien dirigée contre une organisation syndicale, les membres de la CGT, syndicat majoritaire depuis février 2003, restent pour le moins sceptiques. Ils rappellent leur rôle important dans la grève de 2002 et leur refus de signer certains accords. Et se demandent si la DRH traitera avec autant de coeur la récente plainte d’une salariée de Marseille pour harcèlement moral.

De plus, le recours au ministère du Travail, et non au Tribunal administratif, donne une coloration politique à l’affaire. Ce que conteste Nathalie Drouet : cette solution aurait été choisie pour des raisons de rapidité. Cependant, comme s’en inquiète Martine Billard, dans sa lettre du 13 janvier 2004, « l’introduction de la notion de harcèlement moral ascendant pour caractériser l’action d’un délégué syndical ferait jurisprudence ». Ce qui ne serait certainement pas pour déplaire au Medef. (Par Marion DUMAND)

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Lu dans le quotidien régional ''Le Progrès'' du 12 janvier 2004

Harcèlement moral : un pion met en échec le rectorat de Lyon

Un ancien surveillant du centre de formation des apprentis du lycée François-Rabelais à Dardilly a obtenu la condamnation du rectorat à lui payer 7 500 euros de dommages et intérêts pour les brimades exercées à son encontre par le proviseur adjoint de l'époque.

Le verbe « harceler moralement » se conjugue aussi dans l'Education nationale. A l'exercice, le rectorat de Lyon vient d'obtenir un zéro pointé dans l'affaire qui l'opposait à un ancien « pion » du centre de formation des apprentis (CFA) du lycée François Rabelais de Dardilly. Le 11 décembre dernier, le tribunal administratif a condamné en effet le recteur de l'Académie de Lyon à payer quelque 7 500 euros (50 000 francs) de dommages et intérêts pour réparer la « douleur morale » éprouvée par l'ancien surveillant.Retour sur une rentrée pas comme les autres. En septembre 1995, un nouveau proviseur adjoint arrive dans ce centre d'apprentissage pour les métiers de bouche et de restauration. Avec lui, les ennuis se pointent aussi pour un des « pions » en fonction dans l'établissement depuis sept ans. Le « contractuel » qui a le titre de « professeur chargé d'animation pédagogique et de coordination de la vie scolaire au service éducation » est vite rétrogradé à un indice inférieur et à des postes moins prestigieux. La diminution de sa rémunération est certes minime mais symbolique. Il doit surtout, en parallèle, supporter les remarques et attitudes désobligeantes de son supérieur. Ce dernier oublie de le saluer, lui raccroche le téléphone au nez, claque la porte de son bureau. Il lui reproche aussi de « trop discuter », de « n'être jamais là quand on a besoin de lui », alors que l'homme, aujourd'hui âgé de 39 ans, reste persuadé qu'il s'est toujours très bien acquitté de ses tâches. De bonnes âmes lui rapportent également les propos insultants que le proviseur adjoint aurait tenu sur sa personne. On finit par le mettre au placard.Dans son nouveau bureau, un local sans fenêtre situé au sous-sol, il côtoie les balais entreposés là par le personnel d'entretien. « Les jeunes de l'établissement avaient le spectacle d'un ancien chef de service totalement déchu. C'était pour moi d'une grande violence car ils pouvaient s'interroger légitimement sur les raisons de cette mise à l'écart », se remémore l'ancien surveillant.« Indifférence de l'administration »En mai 1998, il fait part de son désarroi au rectorat de Lyon mais aucune réponse n'est formulée. « Les vexations auxquelles le requérant a été exposé et l'indifférence de l'administration sont constitutives [ ] d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat », relèvent les magistrats administratifs. La plainte pénale déposée pour harcèlement moral par l'ancien surveillant et classée sans suite par le Parquet « est sans incidence à cet égard », poursuivent les juges, alors que le rectorat s'était emparé de cet élément pour démontrer l'absence de réalité des brimades avancées.En août 1998, l'homme décide de refuser le nouveau contrat d'un an que l'établissement lui propose. « J'étais incapable de supporter psychologiquement une nouvelle rentrée scolaire ». Il enchaîne alors les petits boulots avant de décrocher quatre ans plus tard un poste de fonctionnaire dans une autre administration. Aujourd'hui, il voit le bout d'une action en justice entamée avec l'aide de Me Serge Deygas en janvier 2002, et qui pourrait bien être « une première » judiciaire en France. « C'est un soulagement, j'ai eu raison de croire en la justice et en son indépendance. Je voulais que la vérité soit dite ! », témoigne l'ancien surveillant. Et l'argent ? « Il ne compensera jamais la souffrance morale subie ».
(Par Sophie MAJOU)

«Aucune sanction disciplinaire pour le proviseur adjoint»

Le proviseur adjoint incriminé par l'ancien surveillant devrait continuer à poursuivre sa carrière en Polynésie française, lieu dans lequel il avait sollicité sa mutation après son affectation au CFA de Dardilly. « Son dossier ne comporte rien qui justifie une sanction disciplinaire » ont déclaré, en effet, les services du rectorat de Lyon. La décision rendue par le tribunal administratif de Lyon ne devrait d'ailleurs rien changer à la donne, car on rejette la faute sur le « pion » qui « avait mal vécu certaines réorganisations », réalisées à l'époque « avec l'accord de la direction de l'établissement ». Agnès Vaffier, la directrice du lycée et du CFA assure également qu'elle « n'aurait jamais accepté qu'il y ait des brimades », affirmant « n'avoir jamais été témoin de ce genre de choses ».

Quant aux lettes du surveillant, restés sans réponse, le rectorat admet qu'il n'en existe aucune trace, mais qu'un appel téléphonique émanant de la cellule d'écoute des personnels a pu être fait à réception de la première missive. A en croire le rectorat, les juges se seraient donc fourvoyés... Fera-t-il dès lors appel de la décision le condamnant à payer une indemnité à l'ancien surveillant ? C'est au ministère de l'Education nationale d'en décider. Il n'a pour l'heure, pas réagi. M.F. et S.M.

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Lu dans le quotidien régional ''L'Est Républicain'' du 20 juin 2003

Vuez : la face cachée du terroir

Neuf des vingt-deux salariés sont en maladie. Le célèbre fabricant de glaces et de pain d'épices de Mouthe (Doubs) est poursuivi aux Prud'hommes par trois d'entre eux.

« Tu m'as fait un beau cadeau. A partir d'aujourd'hui, tu n'as pas fini d'en baver ». Eliane Pécoud raconte que son patron, Philippe Vuez, lui a envoyé ces mots à la figure en apprenant qu'elle venait de créer une section syndicale CGT dans la biscuiterie de Mouthe, célèbre pour ses excellentes glaces au bourgeon de sapin, à la gentiane ou au pontarlier-anis. « On s'est syndiquées, ça ne lui a pas plu », ajoute sa collègue Chantal Roussillon.

Lasses de réclamer en vain le paiement d'heures supplémentaires et de congés payés, la mensualisation des salaires, elles se sont adressées à l'union locale CGT de Pontarlier fin 2001. Les démarches du syndicat restant lettre morte, la CGT obtient de la justice la tenue d'élections de représentants du personnel (...) Depuis, témoignent les deux femmes, c'est l'enfer. « On se fait insulter jusque dans les magasins, traiter de muries, de poufiasses, etc. », dit Chantal Roussillon qui est en arrêt-maladie depuis le 1er février. Eliane Pécoud s'est arrêtée le 21 février et a repris le 5 mars dans d'étranges conditions : « Je n'avais aucune consigne alors que je suis responsable de l'emballage ». Le 11 mars, l'inspecteur du travail se fait refouler de l'entreprise bien qu'il soit accompagné par les gendarmes. Le 12 mars, Eliane Pécoud s'arrête à nouveau : « Elle était en danger », dit Christian Ribaud.

Au total, neuf salariés sur vingt-deux sont en arrêt, dont trois pour dépressions avérées, et quatre en instance de reconnaissance. Inspection du travail et médecine du travail ont été mobilisées. Le sous-préfet de Pontarlier a tenté une médiation, mais en vain pour l'instant (...). Un tract de l'association des commerçants et artisans de Mouthe a circulé dans la commune il y a quelque temps pour dénoncer « un harcèlement administratif et syndical ». Le texte affirme que des employés « cherchent à pourrir et déstabiliser la maison Vuez » (...) Pour l'heure, trois salariés ont saisi les prud'hommes et réclament ensemble 42.000 euros. La conciliation a échoué, on est donc en attente d'une audience. Et la CGT étudie la possibilité d'une action au pénal pour délit entrave, discrimination syndicale et harcèlement. Selon le syndicat, le cas Vuez est loin d'être isolé. (Daniel BORDUR)

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Lu dans le quotidien "Libération" du 5 mai 2003

Le sadique du supermarché

Un responsable caractériel d'un supermarché a poussé à bout tous ses employés. Une des caissières, déléguée du personnel, raconte.

"Il a d'abord acheté la charcutière. Puis ensemble, ils ont terrorisé la crémière et ensuite tout le magasin. En deux ans, le nouveau directeur du spermarché a fait fuir la totalité des ancien salariés. Pourtant, quand il est arrivé, jeune et fringant, les copines étaient plutot contentes. Elles ont vite déchanté quand il annoncé qu'il ne voulait ni syndicat, ni femmes enceintes. "Mettez-vous un stérilet." Puis il nous a fait craquer, une à une. A la crémière, il lui changeait sans cesse ses horaires, parfois sans la prévenir. Puis l'accusait d'abandon de poste. Dans son planning, il lui collait un trou de quatre heures entre le matin et l'après-midi. La journée, il se postait devant elle et l'insultait devant les clients, jusqu'à la faire pleurer. Elle était en larmes, des journées entières, devant ses fromages. La charcutière, qui marchait avec le patron, ne la quittait pas d'un pas. Elle la suivait pour l'empecher de parler aux autres. On devait échanger derrière une gondole, ou par petits mots glissés dans la poche. C'était le règne de la terreur.

Puis ce fut le tour du poissonnier. Un vendredi soir, le directeur plaça une cagette de marchandises à l'air libre. Le lundi, il la remit au meme endroit... et l'accusa de faire pourrir le poisson. Toujours devant les clients. Poussé à bout, le pauvre type a, un jour, brandi face au directeur le couteau qu'il avait dans la main. A chaque fois, j'avais peur que ça tourne mal. Surtout dans cette petite ville où tout le monde se connait (...) Un matin, on découvrit un trou dans les sanitaires des femmes. Il avait cassé une partie du mur pour nous surveiller (...) Ce coup-ci, j'ai pris une photo et on a prévenu la gendarmerie (...) Avec mon syndicat, on a saisi la justice. Deux ans d'enfer qui se sont terminés en correctionnelle. Le tribunal l'a condamné le mois dernier à six mois de prison avec sursis pour harcèlement moral. Nous, il nous a pris deux ans de notre vie." (Recueilli par Luc Pellet)

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Lu dans "Entreprise et carrières" du 1er au 7 octobre 2002

La loi du placard

La psychiatre Marie-France Hirigoyen avait décrit le harcèlement moral et lancé une vaste réflexion qui a abouti à une loi. Un ouvrage de la psychosociologue Dominique Lhuilier lève le voile sur une des pratiques régulièrement associées au harcèlement : la mise au placard.

Une pièce raisonnablement confortable : table, chaise, ordinateur et meme fenetre. Tout comme un bureau. C'était en réalité un placard. Hélène, cadre d'un organisme public de recherche, y a passé près de deux ans, en fin de carrière. Elle avait purement et simplement disparu de l'organigramme. Un soir, après trente-six ans dans l'entreprise "dont trente et un ans de bonheur" précise-t-elle, elle est partie en retraite, sans que personne ne lui dise au revoir. Aujourd'hui, elle attaque son employeur pour voir reconnue la somme des douleurs et de l'humiliation qu'a représenté, pour elle, cette inactivité forcée.

Un phénomène caché

Combien y a-t-il de placardisés en France ? Aucun élément chiffré ne permet d'apprécier l'importance d'un phénomène qui reste, en outre, souvent caché par les victimes. En revanche, Placardisés, des exclus dans l'entreprise, un ouvrage de la psychosociologue Dominique Lhuilier, paru le 27 septembre, en explore précisément les effets et les mécanismes (...). Dans la plupart des cas, la placardisation fait partie d'un processus de harcèlement moral (...). On retrouve au placard les victimes fréquentes du harcèlement : syndicalistes, fortes tetes soucieuses de dénoncer des dysfonctionnements ou n'adhérant pas totalement à la culture maison... "sans oublier les plus 50 ans qui, pour des raisons économiques, représentent une bonne partie de cette population placardisée" signale l'avocat Philippe Ravisy. Le placard se trouve alors généralement dans le corridor qui mène droit vers une tentative de licenciement pour faute... et sans indemnités. Il fait partie des mesures destinées à émousser la combativité des victimes. Autre objectif, mentionné par Dominique Lhuilier comme par Loic Scoarnec, président de l'association Harcèlement moral stop, délégué syndical et lui-meme placardisé depuis 1997 : la volonté de conserver, en interne, visible de tous, l'image de celui qui a dérogé. On signifie, sans rien en dire, la nécessité d'adhérer. on montre celui qui a échoué pour que les autres se voient faire partie, à l'inverse, de ceux qui gagnent. "Ce livre sur les placardisés devrait intéresser beaucoup de monde, pronostique Loic Scoarnec. Si on pouvait rassembler tous les placardisés de France, on se trouverait face à un sacré panel ; tous ages, toutes fonctions et tous secteurs." (Guillaume Le Nagard)

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Lu dans le quotidien belge ''Le Soir'' (21-22 septembre 2002)

Selon l'Organisation internationale du travail, plus de 12 millions de travailleurs(euses) se disent victimes de harcèlement moral en Europe. Cela veut dire qu'un travailleur sur quatre peut etre victime de cette violence ou agression répétitive au cours de sa carrière professionnelle. Dans les pays anglo-saxons où des législations existent depuis un bon moment, on parle de ''mobbing'' ou plus exactement de ''bullying''.

Cela dit, si la société et la politique prennent vraiment conscience de cette problématique depuis quelques années, il faut bien etre réaliste : l'intimidation psychologique au travail (ou harcèlement moral) a plus que probablement toujours existé, entrainant une série de conséquences parfois réellement dramatiques pour la victime et toujours dommageables pour la société dans son ensemble. Depuis deux décennies cependant, soit ces comportements agressifs répétitifs ont augmenté de manière sensible, quelle que soit la nature ou la taille des entreprises, soit ils sont plus systématiquement identifiés et dénoncés par les victimes. Certes, ce type d'attitude a aussi trouvé depuis quelques années un terreau particulièrement favorable : de plus en plus d'emplois au statut précaire, les tensions dans l'entreprise où la charge de travail est toujours plus lourde pour chacun car il faut etre rentable coute que coute, la diminution de la solidarité et l'individualisation du travail. Ce climat ''favorable'' joue aussi sur la personnalité des travailleurs : le bourreau, sa victime ou bouc émissaire et les témoins rendus muets, le plus souvent par la peur. (Marie-Claire Verelst)

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Lu dans le quotidien ''L'Humanité'' du 26 février 2002

Le harcèlement comme une tumeur

Libertés syndicales. Un tribunal des prud'hommes lie les pressions subies par un délégué CGT et le développement de sa maladie.

Harcelé pendant quinze ans pour cause d'activité syndicale, victime de deux cancers en six ans, Michel Buisson a obtenu la condamnation de son employeur, un supermarché Carrefour de Moulins. " C'était pendant ma première chimio, je n'avais plus de cheveux, plus de sourcils, je portais un masque buccal. Je suis passé dire bonjour aux collègues, et un cadre a voulu faire constater par huissier que j'étais absent de mon domicile en dehors des heures de sortie autorisées, pour me priver de mes indemnités journalières. Ça m'a un peu plus détruit. " Michel Buisson revient de très loin. Agé de quarante-trois ans, cet homme élégant, à la voix douce, aux yeux gris derrière de fines lunettes, a réchappé à deux cancers qui l'ont laissé invalide à 80 %. Pendant près de quinze ans, pour cause d'activité syndicale sur son lieu de travail, il a subi un harcèlement dont le tribunal des prud'hommes de Moulins a admis qu'il lui avait fait " perdre une chance de rester en bonne santé ". " Il a été démontré (...) que, soumis à un harcèlement moral, une personne était susceptible de développer des troubles psychosomatiques graves, pouvant l'amener à un arrêt maladie de longue durée, l'invalidité ou la mort ", a estimé le tribunal. Son jugement, rendu début décembre, condamne l'employeur, Carcoop France, propriété du groupe Carrefour, à lui payer 1 460 000 francs, (plus de 222 000 euros) de dommages et intérêts pour discrimination, harcèlement, et réparation de la perte de chances de rester en bonne santé. Carrefour a fait appel (1).

En 1978, Michel Buisson a dix-neuf ans et entre comme cariste manutentionnaire au supermarché Rond-Point, à Moulins, sa ville natale. Quatre ans plus tard, son mandat syndical à la CGT ne l'empêche pas d'être promu " réceptionnaire 1er échelon ". Né dans une famille " de droite ", il a atterri dans ce syndicat un peu par hasard. " J'avais été défendu par un délégué, alors je lui ai demandé ce qu'il vendait ", plaisante-t-il. C'était la CGT, le voilà accroché, pour le meilleur, et pour le pire. En 1985, le supermarché est racheté par Carrefour. Jeune père de famille, il a " envie d'évoluer, c'est naturel ". Carrefour est d'accord, à un détail près. " On m'a proposé, verbalement, de devenir chef de rayon si je renonçais à mes mandats syndicaux et à me présenter aux élections professionnelles. Et je n'ai pas compris pourquoi il fallait que fasse un choix, alors que pendant sept ans ça n'avait pas posé de problème. Ça m'a vraiment abattu. "

Quinze ans après, il est toujours employé de libre-service. Au procès, des témoignages d'autres salariés confirment l'incompatibilité entre l'appartenance au syndicat CGT et l'évolution de carrière, les " pressions et remarques ", non pas sur " la qualité du travail " de Michel Buisson, mais sur " ses absences et son travail syndical ". L'avocat du syndicaliste a produit au procès une déclaration du délégué CGT de l'époque : " Le militant CGT n'est pas reconnu comme un salarié normal ", et " chaque jour on lui rappelle cette différence ". Abattu, Michel Buisson s'accroche, malgré les pressions, " les chefs qui parlent mal, le conflit permanent ". En 1991, le délégué syndical, dont la présence le protégeait, quitte le magasin. " C'est moi qui suis devenu responsable du syndicat, et ça a été un peu l'enfer ", raconte Michel Buisson. Un peu l'enfer : des pressions, des bousculades répétées, un responsable qui le pousse vers la vitrine en le prenant par sa chemise et en le menaçant. " Un collègue un jour m'a salué, et un chef lui a demandé s'il était dans ses heures de délégation syndicale pour s'autoriser à le faire. "

Chaque jour, en arrivant au magasin, il s'inquiète de savoir ce qui va lui arriver. Il continue pourtant son travail dans un syndicat actif, conteste l'utilisation par l'entreprise des aides pour un FNE. N'oublie pas qu'un bon délégué ne doit pas avoir l'air faible, doit garder les choses pour soi. " Mes collègues savent quel prix j'ai payé à être un bon délégué syndical, à toujours mettre en avant l'intérêt collectif, la solidarité ", explique-t-il. " Ils ne comprenaient pas, si ce n'est qu'il ne fallait pas aller au syndicat. " Il n'a pas eu à forcer ses collègues à signer des attestations pour le procès, et pourtant " ils sont pour la plupart encore employés dans le magasin, souligne-t-il. J'ai été récompensé par ces témoignages, ils ont été bien, généreux. " Il rappelle que, " si le syndicat n'avait pas été aussi actif, nous n'aurions pas eu autant d'éléments de faits dans le dossier ". Des témoignages, mais aussi des tracts qui, dès 1986, dénonçaient les menaces à l'égard des militants CGT. Pourtant, le discours de la direction du magasin Carrefour déteint sur certains collègues, qui, sans malveillance, estiment que Michel Buisson a fait son choix, ou ont du mal à comprendre pourquoi il " travaille " moins que les autres. " On doit sans cesse rappeler que l'activité syndicale est un travail, rémunéré comme tel par l'employeur. "

" Je sais très bien pourquoi je suis tombé malade : chaque fois que je subissais un coup de stress, une pression, je ressentais une douleur importante au coté, j'avais de la peine à respirer. " En 1993, il a trente-cinq ans, on diagnostique son premier cancer. " Je venais de me remarier, ce sont des moments heureux et malheureux. Heureusement que le syndicalisme m'avait confronté à la bataille, parce que, dans la maladie, ça sert. " Au centre de cancérologie, ses collègues l'appellent tous les jours pour le tenir au courant, " des gens formidables qui ont su maintenir l'activité du syndicat ". Il reçoit beaucoup de courrier, des messages de sympathie, qui lui permettent de combattre le doute et l'abattement. " Quand on approche la mort, on a besoin de regarder en arrière, pour se rassurer : est-ce que le syndicalisme est une activité normale ? On essaie de faire respecter le droit, en posant des questions directes et naturelles à l'employeur, qui ne répond pas, mais qui nous attaque, c'est très angoissant. "

De retour dans l'entreprise, il reprend son travail de militant, le syndicat engage et gagne une procédure sur les congés payés. " Mais à quel prix ? " En 1998, son deuxième cancer est diagnostiqué. " Je me suis dit : pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que mon employeur ne me fichait pas la paix, pourquoi est-ce qu'il ne respectait pas ma maladie ? " Il attend pendant cinq mois un donneur de moelle osseuse. Aucun de ses cinq frères et sour n'est compatible. Puis, " par chance ", il reçoit le don d'une Galloise de vingt-sept ans, qu'il n'a pas pu remercier pour cause d'anonymat, mais qui l'a rassuré " sur le sens du mot " solidarité ", dans les moments les plus douloureux ". Dans les raisons qui l'ont poussé à faire un procès à son employeur, il y a sa famille, ses deux filles de 16 et 18 ans. " Si demain je devais m'en aller, je ne veux pas qu'elles soient pénalisées, je veux que ma dignité soit rétablie ".

Aujourd'hui, Michel Buisson est toujours officiellement employé par le magasin Carrefour de Moulins, mais dispensé de travail de semaine en semaine. On ne lui a proposé, dans le cadre de son mi-temps thérapeutique, qu'un emploi à la pesée des fruits et légumes, alors qu'il revendique un poste de chef de rayon. Le tribunal des prud'hommes, en statuant sur le harcèlement, a aussi ordonné son licenciement aux torts exclusifs de l'employeur. " C'est une bonne décision, qui a admis qu'en restant dans l'entreprise, je courais des risques pour ma santé. " Le jugement est " un espoir pour tous ceux qui vivent une situation analogue ", il dit que " les moyens utilisés par mon employeur ne sont pas respectueux de la dignité ". Et que l'activité syndicale est naturelle dans l'entreprise, qu'il y a des limites à la volonté de l'employeur de maîtriser le pouvoir social.

" C'est une victoire du droit, mais j'ai quarante-trois ans, je suis usé, et demain je ne sais pas... " Michel Buisson se dit malgré tout confiant dans la vie, " serein, reposé, avec le sentiment d'avoir été écouté ". Et une " envie de faire autre chose, mais quoi, est-ce qu'on me fera confiance ? " Comme beaucoup de militants, il a fait sa formation intellectuelle par le biais du syndicat. Il se consacre à la défense des salariés aux prud'hommes, passe beaucoup de temps à l'union locale CGT, qui a organisé, début février, une journée pour fêter le jugement, et pour " se réconforter ". Michel Buisson le répète : " Ça m'a beaucoup coûté, mais je n'ai jamais regretté de m'être battu, quand je me lève le matin, je sais que j'ai réussi ma vie d'homme. "

(Par Lucy BATEMAN)

(1) Le procès a eu lieu avant le vote des dispositions contre le harcèlement moral contenues dans la loi de modernisation sociale.

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